Peut-on stimuler la croissance de la mâchoire inférieure?

Question :

Bonjour, la dentiste de mon fils (5 ans) me conseille de consulter en orthodontie parce que selon elle, il a une malocclusion de classe 2 (très petit menton). Elle croit que son menton aurait arrêté de croître suite à un coup à la mâchoire.

Quand il ferme sa bouche, molaires sur molaires, on voit ses dents de lait du haut qui recouvrent complètement ses dents du bas. Elles sont droites quoiqu’on puisse voir un léger écart entre ses palettes du haut.

Sur différents sites d’orthodontistes, on suggère de travailler sur ce problème que vers 11-15 ans alors que les enfants sont dans leur pic de croissance. Sur d’autres (européens), on dit de travailler le plus tôt possible pour stimuler la croissance de la mâchoire. Difficile de savoir quoi faire quand les informations se contredisent.

Évidemment que j’aimerais stimuler la croissance de son menton. Y a-t-il quelque chose à faire en ce sens? Merci de me donner votre avis.

Réponse :

Madame Di Cesare,

Votre question comporte 2 volets que je résumerai ainsi:

1- Est-ce qu’un menton peut cesser de croître à la suite d’un coup sur la mâchoire inférieure?

Ma réponse sera en fonction de l’interprétation suivante: Est-ce qu’un coup, un impact sur la mâchoire inférieure, peut affecter la croissance vers l’avant de cette mâchoire?

2- Est-ce qu’un traitement précoce (7-10 ans) en 2 phases (1 phase avec un appareil fonctionnel (Bionator, Frankell, bielles orthopédiques) suivie d’une 2e phase avec des appareils fixes) peut stimuler la croissance de la mâchoire inférieure et offrir un avantage par rapport à un traitement similaire effectué plus tardivement en une seule phase (12-14 ans)?

1- Coup sur la mâchoire inférieure

Un simple coup sur la mâchoire aura peu d’effet sur la croissance de la mandibule et la malocclusion de classe II de votre fils peut s’expliquer de bien autre manière qu’un impact. La pomme ne tombant jamais bien loin de l’arbre qui l’a portée, l’hérédité (du père ou de la mère) est l’explication qui doit venir en premier lieu. En effet, les caractéristiques physiques d’un individu sont héréditaires et une malocclusion, que ce soit classe II ou classe III, est une caractéristique physique, donc, par conséquent, héréditaire.

Ceci étant dit, un jeune enfant peut subir un impact en tombant sur le menton et se fracturer un ou les deux condyles de la mandibule. Cela aura un effet sur la croissance mandibulaire à venir. Pour plus de détails, veuillez consulter la page Enfant avec une hypoplasie du procès condylien et mandibule détruite du côté gauche.

Croissance-mandibulaire-et-dégénérative-joint-disease-orthodontiste-Chamberland-QuébecS’il n’y a pas fracture, il pourrait y avoir une contusion (compression) causant des dommages à la surface articulaire. Si l’effet d’une fracture se perçoit assez rapidement après l’événement (impact), l’effet d’une contusion peut s’exprimer plus tardivement. La figure ci-contre démontre une courbe de croissance mandibulaire moindre (ligne verte) que la croissance normale qui se produit en l’absence de traumatisme et de dérangement interne.

Je précise que je ne crois pas que ce soit le cas de votre fils.

 

 

2- Traitement précoce en 2 phases versus traitement tardif en 1 seule phase

Dans les années 90, 2 projets de recherches majeurs utilisant une méthode de recherche clinique randomisée ont été réalisés par l’Université de la Caroline du Nord (Dr Camila Tulloch et Dr William R Proffit) et par l’Université de la Floride (Dr Greg King et Dr Tim Wheeler). Plus récemment, un important projet de recherche semblable a été réalisé à l’Université Manchester au Royame-Uni (Dr Kevin O’Brian et Dr J. Wright).

Ces projets nous fournissent les meilleures données disponibles pour comprendre la réponse obtenue par un traitement de modification de croissance dans les malocclusions de classe II. L’étude réalisée à UNC sur une période de 10 ans a comparé 2 stratégies de traitement.

1- Traitement en 2 phases: un traitement précoce en dentition mixte, avant l’adolescence, suivi par une 2e phase de traitement en denture permanente.

2- Traitement en 1 phase: un traitement durant le pic de croissance de l’adolescence en début de dentition permanente.

Essai-clinique-randomisé-University-of-North-CarolinaDurant la phase 1, les patients ont été assignés de façon aléatoire (randomisation) soit dans un groupe d’observation (pas de traitement), soit dans un groupe de traitement avec un appareil fonctionnel (bionator), soit dans un groupe de traitement avec un appareil de traction extraorale (headgear). Ils ont été suivis durant 15 mois.

Durant la phase 2, tous les patients ont été réassignés de façon aléatoire à 4 orthodontistes traitants. Ceux qui étaient dans le groupe contrôle et qui n’avaient reçu aucun traitement ont débuté le leur.

Les groupes ayant reçu un traitement ont été comparés au groupe qui n’en avait pas reçu à la fin de la phase 1.

À la fin de la phase 2, le projet de recherche a mis l’emphase sur la comparaison des résultats de ceux qui avaient déjà reçu un traitement précoce avec ceux qui n’avaient pas reçu de traitement de phase 1 et qui ont été traités seulement à l’adolescence.

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Résultats d’un traitement en 2 phases versus un traitement en 1 phase

Les données de ces projets de recherches permettent de conclure que:

1- En moyenne, un enfant traité avant l’adolescence avec un headgear ou un appareil fonctionnel obtiendra une correction petite, mais significative, de la relation intermaxillaire de classe II comparé à un groupe contrôle d’enfants non traités. Environ 75% des enfants traités avant leur croissance pubertaire ont eu une réponse favorable.

2- Le changement de la relation squelettique obtenu durant la phase de traitement précoce est perdu partiellement et n’est pas maintenu durant la croissance subséquente de la mandibule, que ce soit pour le groupe headgear ou le groupe bionator. En effet, un traitement précoce a peu ou pas d’effets sur les changements squelettiques subséquents, l’alignement des dents, l’occlusion, la durée ou la complexité du traitement.

3- À la fin du traitement majeur (phase 2) effectué durant l’adolescence, il n’y a aucune différence entre les patients ayant reçu une phase 1 et ceux qui n’en avaient pas reçue. Cela signifie qu’un traitement en 2 phases débuté avant l’adolescence en denture mixte n’est pas plus efficace qu’un traitement débuté durant l’adolescence en denture permanente. Un traitement précoce n’est donc pas efficient puisqu’il ne permet pas de diminuer la durée du traitement avec des appareils fixes durant la phase 2, ne diminue pas la complexité dudit traitement phase 2 que ce soit en termes d’extractions ou de chirurgie orthognathique.

La figure ci-contre illustre l’effet d’une « soi-disant » accélération de croissance durant la phase de traitement avec un appareil fonctionnel et un retour à la normale une fois l’arrêt de l’appareil fonctionnel. Cela démontre qu’il n’y a pas eu « stimulation » de la croissance mandibulaire, mais seulement accélération, car s’il y avait eu stimulation, la courbe de croissance ne serait pas revenue vers la courbe normale de croissance.

Conclusion

Consultez un orthodontiste lorsque votre enfant aura 7 ans. Ne vous fiez pas aux sites européens concernant les traitements précoces, ils sont un peu en retard sur ce genre de nouvelles…

Il n’est pas impossible que votre enfant puisse bénéficier d’un traitement interceptif quelconque, mais il est peu probable qu’il y ait un avantage de recevoir un traitement pour stimuler la croissance de sa mâchoire avant 12-13 ans (selon son taux de maturité physique à ce moment).

La revue systématique (méta-analyse) des Drs J.E. Harrison, K.D. O’brien et H.V. Worthington, Orthodontic treatment for prominent upper front teeth in children, publié en 2008 dans la librairie Cochrane conclut que:

The evidence suggests that providing orthodontic treatment, for children with prominent upper front teeth, in two stages does not have any advantages over providing treatment in one stage, when the children are in early adolescence.

Traduction libre:

Les évidences scientifiques suggèrent que d’administrer un traitement orthodontique, chez un enfant ayant les dents supérieures proéminentes (classe II), en 2 phases ne comporte aucun avantage par rapport à faire un traitement en une seule phase au début de l’adolescence.

Références:

Harrison JE, O’Brien KD, Worthington HV. Orthodontic treatment for prominent upper front teeth in children. Cochrane Database of Systematic Reviews 2007, Issue 3. Art. No.: CD003452. DOI: 10.1002/14651858.CD003452.pub2.

Gregory J. King, et al, Comparison of peer assessment ratings (PAR) from 1-phase and 2-phase treatment protocols for Class II malocclusions, AJODO 2003;123:489-96.

Proffit WR, and Tulloch J. Preadolescent Class II problems: Treat now or wait? American Journal of Orthodontics and Dentofacial Orthopedics. 2002, Jun;121(6):560-562.

Tulloch JF, Proffit WR, and Phillips C. Outcomes in a 2-phase randomized clinical trial of early Class II treatment. Am J Orthod Dentofacial Orthop. 2004, Jun;125(6):657-67.

Tulloch JF, Proffit WR, and Phillips C. Influences on the outcome of early treatment for Class II malocclusion. Am J Orthod Dentofacial Orthop. 1997, May;111(5):533-42.

Tulloch JF, Phillips C, and Proffit WR. Benefit of early Class II treatment: progress report of a two-phase randomized clinical trial. Am J Orthod Dentofacial Orthop. 1998, Jan;113(1):62-72, quiz 73-4.

 

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