Bon matin Dre Roy,
Je m'excuse d'avoir pris du temps à répondre. J'ai été occupé ces derniers jours.
Je prends note de votre remarque à propos des "idées préconçues". C'est justement pour trouver une réponse à l'idée préconçue que les ajustements d'occlusion peuvent traiter ou prévenir les symptômes ou désordres temporo-mandibulaires qu'a été faite une recherche exhaustive publiée dans la librairie Cochrane.
Mais différencions d'abord deux concepts:
1-La dentisterie basée sur l'expérience d'un clinicien (experience-based view).
Seules l'expérience clinique et les années d'expérience sont importantes pour le praticien. L'utilité de la science est souvent déniée. Les évidences anecdotiques sont suffisantes pour prendre une décision clinique et sont meilleures que la science. Le diagnostic des DTM est basé sur une analyse minutieuse de l'occlusion. Elle recommande une occlusion protégée par la canine. Toute position du condyle autre que la position supéro-antéro-médiale cause des DTM. Elle favorise l'utilisation d'articulateurs en orthodontie.
2-La dentisterie basée sur les faits probants (evidence-based view).
La science et la méthode scientifique sont importantes pour le praticien. Le bénéfice et l'utilité de la science sont démontrés. Les témoignages, les études de cas et l'expérience non objective sont inadéquats ou insuffisants pour prendre une décision clinique. Il n'y a pas de tests définitifs dans le diagnostic des DTM. La règle d'or pour le diagnostic est basé sur l'histoire de cas, l'examen clinique et lorsqu'indiqué, l'imagerie des ATM. L'occlusion n'est pas la cause primaire des DTM, mais joue possiblement un rôle mineur dans son étiologie. Les DTM sont un ensemble, une collection de désordres. La position du condyle comme telle n'est pas directement associée aux DTM. Le concept biologique d'une occlusion fonctionnelle comprend tous les types d'occlusion (fonction de groupe ou guidance canine) mais pas d'interférences occlusales (les contacts en balançant et en protrusion sont tolérés). Les articulateurs ne sont pas nécessaires en orthodontie.
Rinchuse DJ, and Kandasamy S. Evidence-based versus experience based views on occlusion and TMD. AJODO 2005, feb;127(2):249-54
Je désire souligner que même si je suis un clinicien cumulant 30 ans d'expérience, je fais partie de ceux qui croient en une dentisterie basée sur les faits probants.
Hiérarchie de la qualité des évidences scientifiques
Les recherches et travaux des Drs Peter Dawson et Mark Piper doivent être placés, ne vous en déplaise, dans la catégorie "unsupported opinion of expert", en bas de l'échelle des évidences scientifiques. L'article de Holy Koh et Peter Robinson de la librairie Cochrane sur les ajustements de l'occlusion est situé en haut de l'échelle au niveau des méta-analyses incluant plusieurs recherches (multiple trials). Je vous invite à prendre connaissance de l'article au complet: Occlusal adjustment for treating and preventing temporomandibular joint disorders (Review) (en anglais)
Il est intéressant de noter qu'aucun des travaux de recherches des Drs Dawson et Piper n'ont été sélectionnés dans cette méta-analyse. Il est vraisemblable de croire que leurs travaux ne satisfaisaient pas les critères élevés de sélection et d'absence de biais pour être considérés et inclus dans la méta-analyse.
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Mark Piper et le "Piperisme"
Un très bon exemple d'idée préconçue nous est fourni par Dr Mark Piper lorsqu'il décrit la nécrose avasculaire de l'ATM en disant qu'il y a eu compression de l'artère nourricière de l'ATM. Il essaie de relier la nécrose avasculaire causée par une fracture et un affaissement de la tête fémorale où il y a une artère principale et des branches latérales et médiales circonflexes.


Il prétend qu'un déplacement discal antérieur comprime une "soi-disant" artère nourricière de l'ATM et cause de la nécrose avasculaire du condyle.
Or cette artère n'existe pas.
Piper utilise le concept de nécrose avasculaire pour promouvoir sa technique de microchirurgie où il perfore la tête du condyle pour promouvoir une vascularisation.
Il a montré des coupes histologiques d'os qu'il a retiré lors de ces perforations en disant que "ses pathologistes" ont dit que c'était de l'os "mort".
Mais lorsque ces échantillons ont été réanalysés par des
pathologistes indépendants et réputés, ils ont tous démontré que l'os était vivant et ont réfuté tout son concept de nécrose avasculaire, ce qui a mis scientifiquement un terme à la discussion.
Les résultats de Piper concernant l'utilisation de greffes de tissus adipeux pour traiter les dérangements internes de l'ATM et la résorption condylienne
n'ont jamais été publiés dans un journal réputé où les articles sont
révisés par des pairs avant publication (peer-review journal). À ce jour,
personne n'a publié un article démontrant qu'il avait été capable de
reproduire les résultats de Piper.
Définition de reproductibilité en science
La reproductibilité est le degré de similarité entre les mesures ou les observations lors de la reproduction d'une procédure, d'une expérience, d'une analyse par des personnes différentes dans des endroits (hôpitaux, universités, pays) différents. La reproductibilité fait partie de la précision de la méthode testée.
Vascularisation artérielle de l'ATM

La vascularisation de l'ATM provient de multiples sources (le ptérygoïdien externe, l'os spongieux (cancellous bone), le ptérygoïdien interne, les vaisseaux de l'attachement postérieur et l'artère faciale transverse). N'importe qui ayant opéré une ATM sait que l'apport sanguin est multiple. Voir la photo ci-jointe démontrant le réseau artériel et voir le clip vidéo de Dr Carl Bouchard lorsqu'il a fait une greffe costo-chondrale chez une de mes patientes. Remarquez l'hémorragie lorsqu'il coupe malencontreusement une petite artère en faisant le côté gauche (lien greffe CCG).
L'Association des orthodontistes du Québec a invité Dr Alain Aubé récemment afin d'entendre son point de vue au sujet de l'ATM. Disons que plusieurs collègues de l'Association ont exprimé de très grandes réserves face aux concepts véhiculés par Dr Aubé. De nombreux sophismes ont été remarqués. Nous avons eu droit à un étalage d'idées préconçues comme nous n'en avions pas vu souvent dans un cours d'éducation continue.
Nous ne nions pas l'utilité des résonnances magnétiques dans certaines pathologies de l'ATM dont le déplacement discal, mais le diagnostic des DTM ne peut se résumer à une résonnance magnétique.
Les traitements des DTM doivent reposer sur des bases scientifiques.
Conclusion
L'erreur qu'il ne faut pas faire est de mettre l'occlusion au centre de tous les problèmes de l'ATM et de croire que la solution aux problèmes d'ATM passe par un seul modèle d'occlusion fonctionnel avec une guidance canine et des contacts égaux bilatéraux ajustés aux shimstocks de 8 microns.
La prévalence des malocclusions de classe I, classe II ou classe III est à peu près répartie également entre les hommes et les femmes. Il n'y a pas de dimorphisme basé sur le genre.
Il existe des différences des types de malocclusions (classe I, classe II ou classe III) selon que la population observée est blanche (caucasienne), afro-américaine, asiatique ou hispanique.
L'incidence homme-femme des DTM dans la population en général est de 2 femmes pour un homme.
L'incidence homme-femme chez des patients ayant des DTM est de 10 femmes pour un homme.
Dr Larry Wolford (Atlas Oral Maxfacial Surgery Clin N Am 19 (2011) 243-270), dans une recherche comprenant 1369 patients consécutifs de 8 à 76 ans référés pour des DTM, a constaté une proportion de 78% de femmes et 22% d'hommes. 69% des patients atteints mentionnent que leur problème a débuté à l'adolescence. Il conclut que les DTM se développent principalement chez les filles adolescentes.
Nous pouvons faire la réflexion suivante:
Si l'occlusion était en cause, il est vraisemblable de prétendre que la répartition H-F serait plus équilibrée.
Dans ce contexte, n'est-il pas invraisemblable de prétendre que l'ajustement occlusal prévient des DTM sachant que les femmes sont plus affectés par ce genre de problème et qu'il n'y a pas de différence homme-femme dans la prévalence des malocclusions?
En conclusion, je vais citer Dr Louis Mercuri:
"Il est essentiel que l'ostéoarthrite des ATMs soit considérée comme l'entité pathologique qu'elle est dans les mêmes termes que nos collègues médecins discutent de l'ostéoarthrite en orthopédie.
De ne pas le faire renforce le problème que tous ceux qui ont à faire face à cette entité (patients, dentistes, chirurgiens, orthodontistes, etc.) ont avec l'arthrite des ATMs, parce qu'ils ne considèrent pas cela comme une pathologie médicale orthopédique (ce qui est) mais plutôt un DTM principalement dentaire."
Traduction libre: L.G. Mercuri Oral Max Surg Clin N Am 20 (2008) 169-183
Finalement, je vous recommande l'excellent livre des Drs Charles Greene et Daniel Laskin qui vient de paraître afin de rectifier beaucoup de vos idées préconçues qui vous ont été transmises par Drs Dawson et Piper.
Treatment of TMDs:
Bridging the gap between advances in research and clinical patient management, ©2013 Quintescence Publishing Co.